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Le Détesteur: L’État islamique et l’Ébola sont le moindre de mes soucis
Crédit: Émilie Deshaies

Un des impacts que pourrait avoir sur moi l'arrivée au Québec de l'État islamique et/ou de l'Ébola serait que la quiétude dans mes déplacements quotidiens s'en ressente passablement ébranlée, qu'un climat de méfiance s'installe, que la vision que je me suis fait de la vie et des gens change momentanément. Autrement dit, les terrains connus m'apparaitraient comme soudainement étrangers.

Pis là j'me suis arrêté pour y penser et finalement me rendre compte que c'était déjà chose faite. Nul besoin d'Ébola ou de tranchage de gorge. Je suis méfiant: ma vision des inconnus dans le métro, sur la rue ou à l'épicerie n'est plus intacte.

Pas la même chose que si l'Ébola devait nous frapper, tu me diras, certes. Mais un bouleversement s'est effectué. Même en terrain connu, je sais désormais que je ne le suis pas. Que j'ai toujours cru l'être à tort.

Depuis qu'on a donné une voix à monsieur-madame-tout-le-monde, j'ai cette pas tant cool impression que plus rien n'est comme avant, comme si j'avais écopé du fardeau de pouvoir lire dans la tête des gens. Maintenant je sais que cet automobiliste qui me roule sur les talons à l'intersection se réjouirait peut-être de ma mort, si je faisais les manchettes après avoir été happé.

Je sais qu'un assez bon nombre de mes concitoyens contesteraient mon droit de manifester, s'il advenait qu'il soit nécessaire de le faire. Et qu'ils prendraient un malin plaisir à regarder des policiers me matraquer aux nouvelles de 22h, comme c'était le cas, en 2012.

Je ne sais plus de quel oeil regarder l'inconnu, quand je sais qu'ils ont été plus de 20 000 à s'abonner à la jeune troll et vlogueuse hypersexuée Véro Jean-Larin, à l'insulter, à lui souhaiter qu'on la viole. Probablement LE cas de 2014 qui prouve l'existence d'une culture du viol au Québec. Quand parler de culture du viol engendre des réactions agressives. Quand chaque profil FB de fille qui accumule les abonnés pour une craque de seins mise de l'avant n'est en fait rien d'autre qu'une bombe à retardement qui la force à marcher sur des oeufs, à ne pas trop révéler de peau ni de détails sur sa vie sexuelle. Quand le slutshaming est collectivement légitimé et que le témoignage des victimes de viol est lourdement remis en question.

 Je ne sais plus qui est ce dude dans le line-up à la pharmacie. Est-ce le même qui ne peut s'empêcher d'étaler ses jugements de valeur à longueur de journée sous toutes les publications qui entrent en contradiction avec ses propres codes dogmatiques? Ou bien encore, est-ce la petite madame pro-charte qui saute sur son clavier pour demander avec insistance et mépris aux musulmans de retourner chez eux? 

C'est-tu le père de famille qui va y aller d'un innocent «lollll crisse est bin rendue grosse elle!!!!» à chaque fille qui n'a pas su maintenir son poids santé ou bin c'est le jeune adulte qui va traiter de tapette tout ce qui ne cadre pas dans sa vision de l'homme hétéro? Wait, c'est peut-être aussi ta tante qui exige le retour de la peine de mort.

Et comme je disais en introduction, l'idée que l'Ébola et l'État islamique débarquent au Québec me fait peut-être peur, oui, mais je dois tout de même admettre que #lesgens ont grandement contribué à me préparer à un bouleversement au niveau de mon quotidien. Avec toutes ces violentes réactions, souhaits de mort et intolérances que suscitent les manchettes à tous les jours, la conception que je m'étais fait d'eux et de la vie n'est déjà plus la même, anyway.

Je vous déteste.