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Critique de la pièce «Being at home with Claude» au TNM: sidérant d’émotions
Crédit: Benoît McGinnis et Marc Béland (Photo par Yves Renaud)

En octobre 1984, René Daniel Dubois a écrit Being at home with Claude en six jours, sans se douter que sa pièce deviendrait un classique du théâtre québécois. Trente ans plus tard, visiblement ébranlé, l’auteur a rejoint Benoit McGinnis et Marc Béland sur la scène du TNM, pour recevoir les applaudissements destinés à la nouvelle version de son texte haletant et poignant.

Après 35 heures d’interrogatoire, l’enquêteur interprété par Marc Béland refuse d’abdiquer: il veut comprendre pourquoi Yves (McGinnis), un prostitué, s’est livré à la police pour le meurtre de son amoureux, en plus de convoquer la presse et de s’enfermer dans le bureau d’un juge, où se déroule la pièce en huit-clos.

Les faits sont ressassés, répétés, décortiqués, mis en doute, retournés dans tous les sens et remâchés jusqu’à ce que la matière inventée par le jeune criminel devienne indigeste. Grâce à la présence bien dosée de paroles en échos et d’un bruit assourdissant, tel un acouphène naissant, les échanges entre les deux hommes plongent les spectateurs dans le même état de fatigue, mais sans jamais les faire décrocher.

Le public veut lui aussi découvrir ce qui se cache derrière le non-verbal troublé du prostitué, pris de tics et de tremblements, refermé sur lui-même, imposant à son corps un non-dit protecteur pour ne pas révéler l’indicible. Mais l’enquêteur ne se décourage pas. Il reprend les faits, provoque le jeune homme et l’écoute avec une espèce d’exaspération teintée d’empathie et d’humanité. Marc Béland compose ici un personnage plein de nuances et de justesse.
Benoît McGinnis et Marc Béland (Photo par Yves Renaud)
À ses côtés, Benoit McGinnis oblige les critiques à trouver de nouveaux adjectifs afin de décrire l’étendue de son talent. Si certains croyaient que l’acteur avait atteint les sommets de son art avec son interprétation d’Hamlet de Shakespeare, il y a trois ans, force est de constater qu’il vient de monter la barre d’un cran.

Habité par son personnage, hanté par son crime, ébranlé jusque dans sa chair par ce qu’il porte en lui, il offre un moment d’anthologie théâtrale lors du monologue de vingt-cinq minutes où il raconte son amour pour Claude, un étudiant en littérature pour qui son cœur a flanché au point de ne pas trouver de mots assez puissants pour décrire l’incandescence de ses sentiments. Un amour viscéral, fusionnel et total, capable de transcender les corps et de tisser un fil invisible entre deux êtres que tout réunit. Une émotion qui vient détraquer le comédien, morceau par morceau, sans pudeur ni retenue, jusqu’à la fêlure impossible à guérir.

Deux prestations qui méritent d’être applaudies et qui confirment l’extrême finesse avec laquelle Frédéric Blanchette dirige les acteurs. Ayant l’honneur de jouer avec un grand classique, le metteur en scène se révèle à la hauteur du défi.

Le texte de René Daniel Dubois, construit à force de simplicité et de vérité pure, vient casser les plus émotifs des spectateurs, qui s’imprègnent de ce qui se trame sous leurs yeux ou qui se rappellent l’amour indescriptible auquel ils ont déjà goûté. Des paroles qui flottent dans leur tête en rentrant à la maison, ébranlés et émus, souhaitant que les inconnus du métro et de la rue ne voient pas leurs yeux mouillés par tant de beauté.

Being at home with Claude
Jusqu’au 11 octobre 2014 | Théâtre du Nouveau Monde