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Chronique de fin de soirée: sortir à 33 ans (et se sentir vieux).
Crédit: Émilie Deshaies

Accoudé au bar du Mme Lee, accompagné de mon fidèle ami Monsieur Lee, je descends quelques Calsberg tout en me laissant envahir par la foule 18-21 ans du samedi soir.
 
Je regarde autour de moi et je me demande ce que je fais ici. Même si le DJ joue certainement quelque chose qui donne le goût à certaines personnes de danser, je suis incapable d’entendre n’importe quoi d’autre (dans ma tête) que la pièce Forever Young de Alphaville.
 
Let us die young or let us live forever
We don't have the power but we never say never
Sitting in a sandpit, life is a short trip
The music's for the sad men

 

Ça faisait longtemps que je n’avais pas compté autant de dudes en v-neck blancs dans un même établissement, encore moins au mois de janvier. Étrangement, ça ne me dérange pas vraiment. En fait, même si normalement, j’aurais été exaspéré de voir autant de diamants portés sur des lobes d’oreilles masculins, cette fois-ci, ça ne fait que me rendre nostalgique du passé.
 
Ce samedi soir me rappelle mes folles nuits au Fuzzy de Laval lorsque j’avais le même âge que ceux et celles qui pénètrent nerveusement dans le bar à la recherche d’une place assise pour leur gang. Comme eux, je trouvais aussi que c’était une bonne idée de laisser mon manteau dans la voiture, même à -20 degrés Celsius, pour sauver les 2$ du vestiaire.
 
Qu’est-ce que je fais donc ici?
 
Pas nécessairement au Mme Lee, l’établissement est acceptable. Il n’y a aucune comparaison possible entre une barmaid du (RIP) Fuzzy et la magnifique brunette derrière le bar du Mme Lee qui arbore un chandail coton ouaté Brébeuf par-dessus un crop top noir qui laissera plus tard entrevoir un joli petit ventre coincé dans un jean noir taille haute.
 
Mais encore: qu’est-ce que je fais encore à traîner (trop souvent) dans les bars à 33 ans?
 
Qu’est-ce que je recherche qui mérite que je dépense l’essentiel de mon salaire (et même davantage) à vivre les mêmes péripéties que celles que je vivais à 19 ans? Si j’avais su à cet âge que je me retrouverais encore en compagnie de moi-même près de 15 ans plus tard, aurais-je été fier de moi ou me serais-je traité de vieux pathétique pas capable de décrocher?
 
Plus aucun DJ ne me surprend, plus aucune banquette VIP ne me fait sentir spécial, mais j’imagine que je veux rester jeune. Le futur est toujours derrière soi et je cultive peut-être le désir refoulé de ne pas vieillir. De rester jeune pour toujours. Sauf que ce soir, je ne trouve aucune salvation dans mon environnement immédiat. Je me sens vieux et irresponsable.
 
Et j’ai honte.
 
Jusqu’à ce qu’une magnifique jeune femme apparaisse au bout du bar. Toute droite sortie de mes rêves, elle porte une robe à motifs avec un gros col blanc qui me rappelle la plus récente collection de Valentino. Ses yeux bleus, ses sourcils et ses traits allemands illuminent l’endroit telle Tatjana Patitz sur la couverture du Elle en 1985.
 
Sans perdre un instant, je lui offre un verre à distance.
Elle me rejoint et m’apporte du même coup la réponse à ma question.
 
Je suis ici pour la rencontrer.

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