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Chronique de fin de soirée: Dors Montréal, il neige à Brooklyn.

Je ne sais plus quel jour de la semaine nous sommes, ni quelle heure il est et surtout je n’ai aucune idée qui est cet homme qui me parle de ma moustache.
 
Tout ce que je sais, c’est que je passe les dernières heures de mes vacances à Brooklyn les lèvres trempées dans un Glenfiddich 18 ans commandé dans un bar du 6e étage du Wythe Hotel, situé sur le Williamsburg Waterfront.
 
La vue sur Manhattan est imprenable, mais tout le monde s’en fout. Il neige à Brooklyn, personne n’a sommeil et je me sens bercé par un succès souvenir de Johanne Blouin.
 
Pas de pitié, pas de rage
Pas de rêves inassouvis
Pas de cela dans la zone sauvage
Quelque part à côté de la vie

 

Brooklyn, ville orpheline (sans orphelins).

Même après quatre nuits consécutives à m’endormir complètement saoul, je ne peux fermer les yeux sur ce que représente l’essentiel de mon voyage: passer ma journée à faire des trucs très relevant – comme visiter un Puces Pop ouvert à l’année et/ou souper dans un restaurant asiatique végétarien avec une journaliste du Esquire qui écrit la chronique The Women We Love on Instagram − jusqu’à ce que je m’endorme aux côtés de (mon amie) Brige. J’imagine qu’il y a pire, mais tout ceci me semble complètement insipide.
 
Est-ce vraiment tout ce que cette ville peut m’offrir?
 
À force de se développer à l’antipode de Manhattan (et Jersey), Brooklyn est devenue une ville sur le point de rejeter sa parenté. Comme si un enfant pouvait décider non pas de tout simplement quitter ses parents, mais de refuser qu’il ait pu naître de sa mère et de son père parce que c’est plus cool. N’y existe-t-il pas une limite à vouloir être authentique?
 
Résultat: les enfants perdus envahissent les rues comme un virus qui contamine les quartiers historiques. On boit du café, on grignote une pâtisserie sans gluten, on profite de l’accès Wifi, on développe un projet quelconque sur son MacBook, on namedrop Beyoncé ou Heath Ledger, on porte un manteau long, trop grand, et une tuque pointée vers le ciel. Qui a un jour décidé que c’était pertinent de vivre sa vie comme sur Pinterest?
 

La surprenante effervescence de Brooklyn n’est pas différente du capitalisme grimpant qui caractérise Manhattan. À la différence que Manhattan s’assume, Jersey aussi de la même manière que Laval s’assume. Hypocritement, Brooklyn est sur le point de devenir l’endroit le plus kitsch en Amérique du Nord.
 

Puis je pense à Montréal, et j’ai le goût de m’excuser auprès d’elle. Pour toutes les fois où j’ai pu souhaiter que tu deviennes un grand Mile-End, je m’excuse. Pour tous ces moments où j’étais déçu de ta voie publique un peu trop ridée, je m’excuse. Ou lorsque je t’ai trouvée un peu trop grosse avec tes Beaconsfield et Rivière-des-Prairies, je m’excuse.
 
La vraie ville authentique, c’est toi (ma) Montréal.
 
Tu ne cherches pas à être plus cool que Toronto ou à être whatever quoi de différent de Québec: tu es qui tu es, tu acceptes tes imperfections et c’est ce qui te rend si belle, si séduisante.
 
J’aime ma ville comme je devrais aimer les femmes: imparfaite et toujours là pour moi.
Étrangement, c’est toujours quand on va voir ailleurs qu’on le réalise.
 
Tu peux dormir Montréal.
Je rentre à la maison, sans (mon amie) Brige qui préfère Toronto.