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Le Détesteur: vous voulez parler de Far-Web?

J'fais toujours le saut, quand on parle de blogueurs moins doux (ou moins qualifiés) comme de marginaux, d'acteurs d'une sous-culture. On insiste beaucoup sur le terme Far-Web, et on s'assure, à chaque fois, que ce soit fait de manière péjorative. On se questionne même sur la pertinence de leur présence web.

Je m'en étonne parce qu'il n'y a pourtant pas si longtemps, c'était ça le web et même pire. C'était évidemment autre chose, mais disons que le monopole appartenait au citoyen qui pouvait bien dire et faire ce qu'il voulait, sans même qu'on ne lui reproche quoi qu'ce soit. La culture du "on va trop loin parce qu'on le peut".

C'était également le commun des mortels, illettré ou non, qui nous balançait du contenu concocté avec peu de ressources, contenu qui, avec le temps, s'est avéré participatif. La culture du Mème. Soudainement, on ne distinguait plus le médiocre du beau. On s'y est adapté, on l'a adopté. Médiocre is the new beau.

Plus besoin de jouer secrètement les Céline Dion pendant toute une vie entière devant le miroir et garder pour nous l'ambition qu'un jour on pourrait devenir une grande chanteuse. On passait désormais aux auditions dans l'immédiat. On ne remettait rien à plus tard, on ne laissait plus l'âge ni l'école nous faire obstacle.

Voilà ce que je peux faire, dites-moi tout d'suite ce que je vaux. Pas grand chose? Parfait, je sais maintenant à quoi m'en tenir. Mon orgueil ne prend pas qu'on me surnomme "Crisse de chienne de l'enfer sale", je ferai mieux dans ma prochaine vidéo. Les journées filent et je n'y arrive toujours pas? Et si moi j'aime faire ça plus que tout? Too bad, je lâche mon métier de plombier et je retourne aux études. Je l'aurai peut-être appris à la dure, mais au moins, maintenant, je sais ce qui me branche réellement dans la vie et je fonce tout droit vers mon rêve.

Des histoires comme celle du paragraphe au-dessus, il y en a à la tonne. Je n'imagine même pas ce que j'aurais fait de ma vie, sans le web. Et pendant des années, à force d'essayer, de prendre des risques, de s'planter, sont nés les Youtube, MSN, Napster, KaZaA, MégaVidéo, MySpace, Netflix, Facebook, Twitter. L'un ouvrait la porte pour l'autre. Sans trop s'en douter, on préparait le futur, ce qu'on connait du web aujourd'hui. On s'est permis de réaliser qu'il était possible de rassembler beaucoup de gens, puis voilà, l'éveil des sociétés.

Collectivement, on a brainstormé et toutes les idées étaient acceptées. Le cerveau de tous était à l'oeuvre pis on y allait par élimination. Tranquillement on retrouvait la fibre créative qu'on avait ingratement laissée au jeune moi de 4 ans et demi. Le web pour école.

Et maintenant, bin, on fait face à un clash. Sont arrivés ceux qui ont longtemps levé le nez à notre culture, notre petite île méconnue. La sphère médiatique y a fait son nid et y a rapido gagné du terrain. Elle maîtrise les outils disponibles à tous, à sa manière, et semble s'imaginer que c'est la bonne et ne prend même pas la peine de se demander ce qui a bien pu rendre ceci possible.

On ressent tout le mépris à l'égard des gens qui partent de rien, foncent sans diplôme, sans éducation post-secondaire. On scrute à la loupe, on dénonce. Et soudainement, le plombier de 45 ans qui rêve d'une carrière de comédien s'en voit découragé. Le risque n'est plus à l'honneur, la médiocrité moins acceptée. Le contenu doit être beau, propre, avant d'être publié. Sans sacre, malaise, ni maladresse.

Celui qui excelle dans un domaine ne peut plus se permettre de perdre la face dans un autre. Tant pis pour l'apprentissage sur le tas. Sois bon tout d'suite ou tais-toi. Le monde de la télé et des médias traditionnels ne s'efforce même pas de comprendre les propres codes et valeurs de la terre déjà peuplée où il a mis le pied. 

Dimanche dernier, à Tout le monde en parle, ce n'était pas seulement le procès public de Gab Roy, mais celui d'une culture qui fait peur, qui menace, qui gagne du terrain et continuera de changer la façon de faire les choses. On a tenté d'étouffer l'incompréhensible, l'inconfortable.

Je vous déteste.