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Chronique de fin de soirée: vestige(s) d’une autre époque

Je ne sais pas exactement à quel moment cela se produit dans une vie, mais on devient toujours le vestige d’une autre époque, comme si notre existence devait nécessairement être (re)construite à partir de lointains souvenirs engraissés par la nostalgie.
 
Quelque part dans la vingtaine, alors que j’étais convaincu de mon existence inébranlablement pertinente et authentique, un avocat du Bad Boy Club Montréal m’a confié que nous suivons tous le même parcours existentiel: «À l’Université, t’es socialiste. Vers la fin de la vingtaine, tu évolues en un social-démocrate. Ensuite, dans la trentaine, tu deviens libéral pour ultimement finir tes jours, conservateur.»
 
Samedi soir, j’ai compris qu’il avait raison.
 
La fête à Guindon (première partie)
 

Inconsciemment, la manière dont on fête son anniversaire en dit long sur son statut. Pour ses 34 ans, mon ami Guindon a sélectionné le Bistro 1815. Située au 1815 Laurier Est, cette taverne de quartier est l’inverse de tout ce qui se trouve sur cette rue entre Papineau et Côte-Sainte-Catherine : c’est un trou.
 
Or, à travers les machines de loterie vidéo, des murs à l’effigie du Canadien, des salières sur les tables, de la bière servie dans un bock froid, de la barmaid émotionnellement instable, de la table de billard et même de la craque de fesses d’un client assis près de la porte d’entrée, on s’imagine que le fêté est un grand nostalgique. Probablement d’une période où la vie était plus simple, ou le plaisir était plus tangible et moins (pré)fabriqué.
 
On le comprend.
 
Montréal accueille un nouveau resto-bar par semaine, pendant qu’elle en ferme deux. Ces nouveaux endroits, tous plus cool les uns que les autres pendant les trois premiers mois, sombrent ensuite rapidement dans l’oubli. Mais le Bistro 1815 reste. Sa clientèle aussi. Sauf quand nous sommes arrivés.
 
Que le bar soit plein, c’est tolérable. Mais de nous entendre prendre le contrôle de la musique, c’est trop. Même les jeunes femmes qui nous accompagnent, avec leurs jambes de six pieds et leurs chandails coupés, n’ont pu les retenir. Ils reviendront jouer aux machines un autre soir. À leur âge, la nouveauté, ils en ont eu assez
 
On devient tous conservateurs.
 
La fête à Guindon (deuxième partie)
 

Les quelques flocons de neige qui tombent sur la ville transportent la soirée dans un environnement qu’on pourrait qualifier de tout à fait différent. Teki Latex mixe au Cabaret Underworld. La salle est à moitié vide, et à moitié pleine de notre groupe. Sans notre présence, on n’y retrouverait qu’une poignée de Français surexcités. On m’explique qu’il y a beaucoup (trop) de compétition en ce samedi soir montréalais pour espérer une salle bondée, même pour un excellent DJ set (de la part d’un artiste relativement has been).
 
Il y a quelques années, nous aurions tous été plus saouls, plus drogués, plus tout, pour le même type de prestation et dans ce même type de salle. Mais ce soir, tout est moyen et c’est parfait comme ça. Et lorsqu’il est deux heures du matin, que DA-P prend la relève sur scène, je quitte. Parce que la nouveauté ne m'intéresse pas non plus ce soir.
 
Au fond, le Cabaret Underworld n’est pas différent du Bistro 1815.
J'ai vécu ce que j'ai déjà vécu: les vestiges d'une autre époque.
Avec plaisir.
 
On devient tous conservateurs.

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