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Boogat relate la quête culturelle qui a mené à l’album El Dorado Sunset
Crédit: Dur de croire que le rappeur vétéran lance cette semaine son premier opus en espagnol. Il nous explique la redécouverte de ses racines qui l’a mené jusque-là.

Boogat n’est pas un nouveau venu. On le connaît depuis une dizaine d’années sous son vrai nom de Daniel Russo Garrido, sous lequel il a signé deux albums de hip-hop en français ainsi qu’un album de remix.

On a aussi été témoins de sa conversion à l’espagnol – sa seconde langue maternelle, héritée de son père paraguayen et de sa mère mexicaine –, le temps de collaborations avec Poirier et Pawa up First, ou lors de concerts très festifs au Festival de jazz de Montréal.

Mais rien ne nous préparait à ce qu’il livre cette semaine, avec El Dorado Sunset: El gran baile de las identidades, son tout premier album en espagnol. Boogat s’y libère du carcan rap d’admirable façon dans des pièces étonnamment colorées, richement arrangées et orchestrées.

Les tons salsa, cumbia et autres emprunts à la culture latine y sont nombreux, mais il ne s’agit pas non plus d’un album de world. C’est une affaire carnavalesque résolument moderne et pop qui semble refléter le parcours de Boogat depuis ses débuts en hip-hop franco, en 1998, jusqu’à aujourd’hui.

Déclic
Boogat a toujours fait une place à ses racines hispaniques dans sa musique, mais il a ressenti un déclic particulier lorsqu’il a commencé à collaborer avec le Roberto López Project, un combo latino-jazz, en 2007. À la demande de M. López, les contributions de Boogat seraient strictement en espagnol.

«T’es habitué à des salles rap où il y a 30 personnes et où le monde ne réagit pas trop, où il faut vraiment que tu travailles pour que ça se passe un peu et tout à coup, tu te retrouves dans des shows où tout le monde se met à danser après trois notes. Tu te dis: "ah, c’est intéressant, ça"», se souvient l’artiste.

Durant sa phase «mercenaire», une collaboration en espagnol avec Poirier lui ouvre d’autres portes. C’était la pièce Kalima Shop Titi. «J’étais déstabilisé par rapport à ce style-là», note-t-il d’abord. Son idée change après la sortie du morceau sous un label argentin.

«J’étais dans la mentalité "rap queb" où tu te dis que l’industrie t’aime pas, que ta seule option, c’est HHQC (NDLR: le site/label)… Puis tout à coup, avec un morceau, j’ai eu plus de presse à travers le monde qu’ici avec trois albums en français. À partir de là, j’ai fait: "OK"», poursuit-il en riant.

Boogat n’exclut pas un retour éventuel au français, mais pour l’instant, c’est en espagnol que ça se passe. «Présentement, je n’arrive pas à pogner la même énergie, la même vibe en français. Et pour tout dire, je n’essaie même pas! Parce que quand j’entends un beat, les paroles me viennent immédiatement en espagnol», explique le loquace personnage.

Racines
Élevé dans les deux langues à Beauport, Daniel a surtout parlé le français jusqu’à l’adolescence. Ses débuts comme MC, à l’âge de 15 ans, lui font prendre conscience de ses racines étrangères. «À l’époque, le rap québécois était surtout un fait d’immigrants. Je me tenais avec beaucoup d’immigrants. Ça a fait une grosse différence», souligne-t-il.

Un voyage au Mexique commandité par ses parents lui fait néanmoins réaliser qu’il n’est pas non plus entièrement latino. D’où ce besoin d’explorer le thème de l’identité sur El Dorado Sunset. «L’histoire veut nous faire croire que les gens viennent d’un seul endroit. Si tu rentres pas dans les cases qu’on nous enseigne, t’es rien. Tout le monde vient de quelque part, et tout le monde a une identité ben fuckée. Et puis, on me demande: "Oui, mais ta musique, elle est pour qui? Pour le Québec ou l’Amérique latine?" On peut-tu juste faire de la musique et oublier ce qui nous divise? Le concept d’El Dorado, c’est un peu ça», lance-t-il.

Boogat garde de ses questionnements un goût pour le bâtard, l’hybride. Aux courants latins purs, il préfère la salsa dura, un courant né de musiciens immigrants à New York. «Après ça, tous les producteurs qui sont sur l’album ont leur propre bagage. […] Y'a des couches et des couches. C’est pour ça que j’ai sous-titré l’album El grand baile de las identidades

Et il ne cache pas que son espagnol n’est pas aussi fluide que celui d’un hispanophone «pure laine». «Je ne viens pas de Porto Rico, je ne viens pas du Mexique. Moi, je viens de Montréal! C’est important, quand t’écoutes ma musique, que tu comprennes ou pas les paroles, que ça se sente que je suis Montréalais. J’ai pas à cacher ça. Ça fait partie du charme de l’affaire, je pense.»

Du monde
Il est entouré, sur El Dorado Sunset: Poirier, Radio Radio, Kid Koala, le tandem allemand Schlachthofbronx, Karim (Syncop), Serge Nakauchi Pelletier (Beast, Pawa up First), des membres de Heavy Soundz et plusieurs autres viennent lui prêter main-forte.

Le principal intéressé ne croit pas que le résultat soit si différent de ce qu’il faisait avant. «Oui, c’est plus élaboré. C’est peut-être parce que mon but n’est plus de faire du rap, mais de faire de la musique, point, explique-t-il. Avant, j’avais vraiment moins de connaissances, et j’essayais de tout faire moi-même. Maintenant que j'ai de l'expérience et que je connais beaucoup de musiciens, la musique peut enfin être un échange, une communion. Pourquoi mal faire quelque chose quand tu peux confier ça à quelqu’un qui le fait mieux que toi?»

Boogat
13 février | La Sala Rossa
4848, St-Laurent
boogat.com

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