Aller au contenu
Entrevue avec LA révélation musicale de 2012, Father John Misty

Joshua Tillman n'est pas exactement un nouveau venu. Un temps batteur au sein du populaire groupe indie-folk Fleet Foxes (un rôle qu'il n'a délaissé que tout récemment), il a aussi lancé pas moins de sept albums solo sous le nom de J. Tillman depuis 2005. Ceux-ci sont faits d'un folk délicat, minimaliste et intimiste.

En mai, toutefois, il s'est présenté sous un nouveau jour. Rebaptisé Father John Misty, il a lancé Fear Fun, un album de pop-rock pleinement arrangé, extravagant, où il chante à pleins poumons des histoires de personnages marginaux, récitées à coups de vers coup de poing.

Lors de son passage à Montréal, la même semaine, on s'attendait quand même à retrouver sur scène le J. Tillman d'antan: discret, effacé. Eh bien non. Le natif de Baltimore donne un concert à la mesure de son album: expansif, dynamique, presque glam. Il évoque un Rufus Wainwright cinglant.

Les gens réagissent à ce drôle de prêtre. Au Petit Campus, il se faisait souvent interrompre par des membres enthousiastes de l'assistance. Joint sur la route entre la Californie et l'Oregon, il me raconte que durant le concert de la veille, des gens lançaient des chaises.

À la veille de son retour chez nous, on lui a demandé ce qui se passe.

Interruptions verbales, utilisation de mobilier comme projectiles… Tu provoques de drôles de réactions durant tes concerts. Est-ce ce que tu cherches?
Hum… J'aime qu'il y ait une certaine interaction verbale avec le public, mais en général, j'aime bien diriger mon concert avec une main de fer. C'est ma fucking scène! Je fournis le divertissement. Tu vois ce que je veux dire?

Certains prennent ton attitude sur scène pour une sorte de mépris du public. Est-ce une interprétation juste?
Oh oui! Le mépris pour le public est une part importante de ce que je fais. Il doit y avoir une part d'affrontement. De plusieurs façons, l'artiste parle au public, mais il parle surtout en son nom. C'est pour ça que les gens ont un lien si cathartique avec la musique. Quand j'écoute de la musique, je ne veux pas qu'on me dicte quelque chose; je l'écoute parce qu'elle dit quelque chose que j'aurais aimé dire moi-même, parce que je réalise que c'est quelque chose que je dis déjà à l'univers ou parce qu'elle est la clarification d'une idée que je partage. Donc, j'aime donner au public cette catharsis. J'ai l'impression que tout est si poli en divertissement. Il y a toujours cette peur d'offenser. Mais si on ne peut pas être rude ou étrange dans un tel contexte, que peut-on être?

On dirait que Fear Fun est une renaissance artistique pour toi. Tes autres albums étaient si discrets en comparaison… Il n'y a presque aucun lien. Qu'est-il arrivé?
(Hésite longuement) je trouve ça de plus en plus difficile à expliquer. Tout le langage autour de ce que je fais en ce moment est en opposition à ce que je faisais avant. Mais la musique, elle, ne l'est pas tant que ça, à mon sens. Bien sûr, je reconnais le fossé entre les deux. La sévérité et la tristesse contenues dans mes albums précédents sont ce qui nourrit mon sens de l'humour. Avec ce que je fais maintenant, j'amène simplement tout à un niveau supérieur. La boucle est bouclée.

Il s'agit de prendre conscience de la condition humaine, puis d'en rire. Avant, je ne faisais que la moitié du chemin: je prenais conscience de la condition humaine, point. Tu vois ce que je veux dire? Je ne crois pas qu'on puisse parler de renaissance, puisque musicalement, je ne pense même pas que j'étais vraiment né, avant. Mais j'ai vieilli et mes idées sont devenues plus claires. Ma musique reflète cela.

Pourquoi le nom Father John Misty tout à coup?
Le nom est la dernière décision qui a été prise concernant l'album. Tout était terminé, prêt à envoyer aux presses. J'étais juste tanné du nom J. Tillman. J'ai changé pour le fun, tout simplement. C'était la première fois que j'avais l'occasion de trouver un nom de groupe con. J'ai voulu profiter de cette liberté. Écrire à propos de soi est un peu un gag. Alors, aussi bien aller jusqu'au bout et donner un nom totalement ridicule à l'opération. Le nom en tant que tel ne veut rien dire. C'est juste un gag.

Pratiquement chaque vers sur Fear Fun comporte un punch. Tu écris un peu comme les rappeurs. Que représentent ces histoires que tu y racontes? Sont-elles fictives? Et comment es-tu passé de textes intimistes que tu écrivais avant à ce nouveau style d'écriture?
Il y a un roman dans la pochette du disque. Les textes représentent un peu le processus d'écriture de ce roman. C'est écrit selon mon style de conversation à l'oral. C'est quelque chose qui m'est venu quand je tournais en tant que J. Tillman. J'ai remarqué que quand je bavardais entre les chansons, le public devenait soudainement très attentif. Les gens riaient… Le contact devenait plus marqué. Ces moments entre les chansons étaient presque le point culminant du show! Ça a été un constat assez dégrisant. Je ne savais pas quoi faire avec cette information. J'étais comme: «OK, t'es meilleur pour placoter que pour écrire des chansons… Qu'est-ce que ça veut dire?»

C'était le premier indice comme quoi je devais changer quelque chose à mon style de composition. C'est à cela qu'a servi l'écriture du roman qui est dans la pochette: à trouver un fil conducteur entre ma façon de converser, mon sens de l'humour, ma façon de raconter des conneries et mes compositions. Il fallait que mes chansons deviennent le prolongement de la bullshit que je peux raconter. De la bullshit avec une guitare, quoi! Il s'agissait d'arrêter d'écrire selon ma perception de l'archétype de l'auteur-compositeur et de plutôt trouver une manière de briser ce mur entre le langage parlé et le langage chanté.

Il y a beaucoup d'humour dans tes chansons. Crois-tu qu'il y a encore une place pour l'ironie dans la musique?
Oui. Je crois qu'elle est préférable à la sentimentalité flagrante. J'entends beaucoup de cela en indie-rock, en ce moment. C'est très sentimental. Et c'est aussi sans grande substance en termes lyriques. De toute façon, je ne crois pas que le contenu lyrique soit très important pour la plupart des gens. On vit dans une époque très portée sur l'esthétique. Tout le monde semble préoccupé par l'image de choses, comment c'est relié ou non à l'esthétique qui était en vogue six mois auparavant, et bla, bla, bla… Pour ma part, je n'aime pas trop courir après l'esprit du moment. Ce que je fais n'est ni hip, ni cool.

On dit que tu as pris des substances avant ton dernier show à Montréal…
Ouais, j'ai pris des champignons magiques juste avant de monter sur scène! J'ai passé la majeure partie de cette tournée sur les champignons, en fait.

Vraiment? Comment fais-tu pour chanter? Tu n'as pas peur de perdre le contrôle?
Non. Ça me met dans un état très créatif. Ce n'est pas une drogue d'évitement. Ce serait plus dur de jouer sur l'héroïne ou quelque chose du genre. Ça me dépasse que certains puissent donner des concerts après en avoir pris. Mais les champignons sont bons pour naviguer positivement dans la musique. Ils exacerbent l'intuition.

À ta place, je rirais sans doute du début à la fin du show…
Ah, tu sais… Question de pratique!

Father John Misty
26 octobre | Cabaret du Mile-End
5240, Parc
avec La Sera et Jeffertitti's Nile
fatherjohnmisty.com

Plus de contenu