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Le Détesteur: Manu Militari ou quand la paranoïa débarque au Québec

Dès  qu'une oeuvre se voit contestée par les médias de masse, les chroniqueurs mal intentionnés n'attendent que ça. Que l'auteur prononce ces deux mots: Second et degré. Ils savent qu'une vaste majorité de la population est inapte à en saisir le fond et s'amusent avec ça dans le but d'incriminer. Faut être fou en 2012 pour plaider le second niveau, c'est l'équivalent de se lyncher soi-même sur la place publique, en prenant le soin d'inviter médias et indésirables, histoire de souffrir un peu plus.

C'est pourquoi dans cette chronique, j'éviterai de te parler de second niveau, donc, cherche-le pas, man, ok? T'as vu c'que t'as vu dans le nouveau vidéoclip de Manu Militari pis on va s'en tenir à ça. Les hommes tués sont donc sans vie pis l'Afghan qui ouvre le feu et pose des bombes a commis des homicides.

Fiou, j'm'en suis pas pire sorti, autrement, t'aurais pu me dire que tu ne vois pas ce qu'il y a de drôle/divertissant dans le fait de voir un soldat canadien mourir et que tu ne peux y observer d'autres sens que celui que tu y vois. Tu m'aurais dit que le deuxième degré me sert de prétexte pour justifier les pires messages haineux de propagande. Mais heureusement, j'ai vu les mêmes choses que toi. T'es mon boy.

Fak, en admettant que pour toi, le second  niveau relève du domaine de l'alambiqué, je te présenterai les choses autrement.

Depuis sa mise en ligne, on ne cesse de frapper sur son nouveau clip. On accuse l'auteur, Manu Militari, de justifier, voire de glorifier les attaques talibanes sur les soldats du Canada. Il s'est même vu  forcé de retirer sa vidéo de YouTube suite à de maintes pressions, tant gouvernementales que militaires.

Ça m'a mis en tabarnack de savoir qu'on puisse exiger d'un artiste qu'il annule son oeuvre pour des intentions qu'on a décidé de lui prêter. Qu'on s'amuse à deviner ses intentions parce qu'une fois choqué, le pire nous paraît évident. Ça nous plaît, même. On laisse tomber le discernement au profit des émotions du moment.

On peut accuser un artiste d'avoir une vision biaisée de son sujet, d'avoir négligé ses recherches, de ne pas rendre justice d'un côté comme de l'autre. Mais on ne peut le pendre comme ça sur la place publique sous des prétextes nettement paranoïaques, comme quoi il aurait voulu banaliser l'assassinat des soldats de son pays.

Dans le cas présent, il personnifie son interprétation du soldat afghan, rien de plus. Il se prête à l'audacieux exercice (comme à son habitude) de se glisser dans la peau de ce dernier, comme l'a fait Xavier Dolan pour Laurence, l'homme qui n'en pouvait plus d'être homme ou encore Jeff Lindsay pour son tueur en série bien fictif, Dexter Morgan. Et pourtant, quand je visionne cette série dans laquelle le protagoniste principal justifie ses meurtres par bien-pensance, je me vois satisfait quand il réussit à s'en tirer aussi adroitement. Pendant 52 minutes je suis fasciné par le meurtre. On ne peut empêcher l'humain de se prêter à ce type d'exercice de démystification de la mort, de l'homicide, de la folie. Raconter sans jugement.

Et franchement, j'pense que les familles et amis de soldats décédés devraient s'en crisser pas mal de cette vidéo, dans la mesure où, oui, je comprends la dévastation que peut causer l'aussi froid décès d'un proche, mais reste que le concept de la mort d'un soldat en guerre n'a rien de nouveau et ne leur est encore moins exclusif.

Tu peux qualifier une oeuvre de maladroite, parce qu'elle peut effectivement l'être. Sans sa maladresse, un artiste n'en est plus un. Si ça te froisse, tant mieux, on ouvre la discussion pis on en jase, à condition de laisser à l'auteur la chance de s'exprimer, tout en crissant aux vidanges ta mauvaise foi.

Mais ces temps-ci, j'trouve que tu te sers pas mal de la liberté d'expression pour faire taire les propos qui te déplaisent, sous prétexte qu'on ne peut pas tout dire ni tout faire au nom de celle-ci. Pis ironiquement, on te donne raison. On en est venu à te laisser imposer des limites à la liberté de s'exprimer, à te permettre de décider à l'arbitraire si le second degré sert de motif à des propos malveillants ou non. Tu fais tellement une phobie des agendas cachés que tu n'oses pas prendre de chance.

Paranoïa.

Je te déteste.

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