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Le groupe à surveiller Canailles parle du chemin parcouru depuis ses premiers shows bordéliques

Deux ans presque jour pour jour après être tombé, presque par hasard, sur le premier concert de Canailles au Quai des brumes, alors que le groupe venait tout juste d’abandonner son sobriquet de Drunken Sailors et son répertoire de reprises anglophones, je me retrouve exactement au même endroit avec la chanteuse Daphné Brissette et le mandoliniste Érik Evans.

Depuis ce temps, on y aussi trinqué souvent à grand renfort de «rehi» (le cri de ralliement de la bande). Mais aujourd’hui, le prétexte est tout autre: parler de Manger du bois, ce premier album réalisé par Socalled qui fera l’objet d’un concert de lancement ce soir à la Sala Rossa, ainsi que du chemin parcouru depuis ces premiers pas éthyliques.

Réflexions diurnes sur une longue tournée des bars qui a porté fruit.

Vous avez bâti votre réputation sur vos concerts festifs, bordéliques. Comment avez-vous vécu le passage au studio, où il faut être plus sérieux et discipliné?
Érik Evans: C’est justement pour garder cette énergie-là qu’on a voulu taper l’album live. Nous avec un click (piste préenregistrée), ça n’aurait pas marché.

Daphné Brissette: On a essayé de recréer cette espèce d’esprit de salon. On ne pouvait pas faire autrement. Oui, on peut dire que ça sonne plus clean, mais l’album a quand même un son rough.

Érik: On avait la bonne équipe pour le taper. On voulait que Socalled réalise, mais on avait déjà le produit. Socalled a fait des propositions, mais on était pas mal «lockés» dans ce qu’on voulait.

Daphné: On connaissait notre son. Ça fait un an qu’on roule ces tounes-là. Veux, veux pas, le son est vraiment établi. C’est sûr qu’il a amené des nouvelles affaires, il ajusté des choses qui étaient un peu toutes croches, mais il reste qu’on savait exactement ce qu’on voulait comme résultat. Josh a quand même été cool. Son approche était vraiment: «it is what it is». Il le disait tout le temps: «tout est là». Il n’avait jamais entendu le band avant, je pense. On a eu un meeting avec, il a un peu «catché» l’énergie. Il y a quand même 34 collaborations sur son dernier album. C’est un gars «people», pis c’est de ça qu’on avait besoin. Plus que d’un dictateur.

On vous soupçonne d’avoir un petit côté perfectionniste derrière vos airs fêtards…
Érik: Pour vrai, oui. Juste pour ramasser huit personnes et les mettre sur un stage, s’assurer que tout le monde soit présentable et que ça sonne, on n’a pas le choix d’avoir un peu de rigueur. Les Francouvertes (NDLR Concours où le groupe est arrivé en finale en 2011), c’est à ça que ça nous a servi. On a eu besoin que la rigueur soit là.

Daphné: On a sorti le fouet pour les Francouvertes. On est passé d’un band vraiment «gaboune» à quelque chose d’un peu plus pro, mettons. En faisant ça, tu te donnes plus de jeu. Plus t’es tight, plus t’es rodé, mieux tu peux faire lever ton show tout en restant un peu croche à l’occasion. Même ma mère capote, maintenant.

Comment on gère ça au quotidien, un band de huit personnes? Comment on amène un souci de perfectionnisme là-dedans?
Daphné: Ben, disons qu’il y a un seul vrai musicien dans le band: Benjamin (Proulx-Mathers, guitares et banjo). Il a fait du ménage quand il est arrivé. C’était pendant que Dan (Tremblay, guitares et banjo) était parti en Chine pour six mois. Au début, il était assez low profile. Il a appris les tounes, il a embarqué, mais à l’arrivée des Francouvertes, il a vraiment fait: «OK, ça, ça marche pas». Il a réarrangé et restructuré des affaires. Faut vraiment lui donner ça. Chaque membre du groupe a eu un instant de: «elle est où, ma place dans ce band-là?» Trouver sa place, l’assumer et être bien avec ça, c’est une espèce de processus pas facile. Ça s’est vraiment ajusté à la longue.

Quand je vous ai connus, vous rouliez au jour le jour. Vous n’avez jamais eu l’air trop ambitieux, ni pressés de faire un album. Vous semblez dire que votre vision s’est installée progressivement. C’est ça?
Daphné: C’est ça!

Érik: Si on avait eu l’ambition d’arriver où on est aujourd’hui, je suis pas mal sûr qu’on se serait tirés dans le pied. Ce que je trouve cool, c’est que depuis le début, on est restés intègres et on a fait ça étape par étape. On s’est permis de refuser des affaires qui auraient pu être intéressantes. Comme lorsque le NPD nous a offert 4000$ pour aller jouer à un événement… À ce moment-là, ça ne nous aurait pas fait de tort, mais on ne voulait pas jouer pour un parti politique.

Daphné: Une fierté qu’on a – et c’est quand même nouveau –, c’est de jouer en région. Quand tu vas là sans être connu, tu sais pas si t’auras pas dix personnes à ton show. Dans notre cas, ça s’est toujours bien passé. Qu’il y ait 30 personnes ou 700, on s’en est toujours bien sorti. C’est le fun de retourner dans un coin où t’es passé une fois et de trouver encore plus de monde. Tu constates que le message est passé, qu’il y a un engouement. Ça aussi, c’était une grosse étape: quand tu réalises que t’es plus à Montréal, dans ton petit confort. Le travail en région, c’est vraiment important. Tu peux pas gâcher un show en région, parce que c’est ça qui va te rapporter quelque chose. La fierté vient du fait qu’on construit vraiment notre public. On n’arrive pas quelque part avec la certitude qu’il va y avoir du monde. On est encore vraiment, vraiment petits. C’est notre plus grande fierté de voir que malgré tout, les gens sont quand même réceptifs et qu’on va chercher notre public.

Il y a bien des artistes pour qui c’est une corvée de jouer en région…
Daphné: Sauf que nous autres, on s’est toujours dit que même s’il y a seulement cinq personnes dans la salle, eh ben, ces cinq personnes-là vont rentrer bien contentes d’avoir payé 10$ pour nous voir. C’est notre travail, veux, veux pas. Tu fais pas autant de sacrifices au quotidien pour aller «scrapper» des moments comme ça. Ce sont des moments forts.

Érik: On joue ces chansons-là parce qu’on les aime. Moi, je ne suis vraiment pas écoeuré d’être pas mal tout le temps avec ces sept personnes-là. Et je ne suis pas tanné de toujours jouer les mêmes 14-15 tounes. Après demain, on s’en va jouer à Saint-Jean-de-Matha et j’ai hâte! On ne sait pas s’il y aura du monde, mais on sait qu’il va y avoir les barmaids pis nous autres, qu’on va faire le party pis que ça va être le fun. Y’a encore le trip – et je pense que ça va rester – de jouer et d’être en gang. Ça, je pense que ça peut être contagieux.

Comment faites-vous pour maintenir une authenticité roots même quand quelques membres du groupe sont extérieurs à cette culture?
Daphné: Même si quelqu’un comme JP (Tremblay, batterie et harmonica) écoute surtout du rock, il reste vraiment, vraiment intègre. Il écoute de tout, dont en masse de blues. Autant on a une palette de couleurs vraiment large, autant on connaît notre son. Si une composition ne «fitte» pas, on va se le dire.

Érik: Quand on a commencé à jouer ensemble, on n’a pas eu le choix de commencer à checker où on s’en allait, un peu. Je pense aussi que l’essence de cette musique-là se comprend tout de suite.

Toi Daphné, la grande connaisseuse en matière de country et de blues, comment es-tu entrée là-dedans?
Daphné: Ça a été vraiment long. J’avais commencé à prendre des cours de swing. J’aimais tellement cette musique-là! On dirait que ça va ensemble: quand tu t’intéresses au swing, à un moment donné, tu tombes dans le rockabilly, puis le hillbilly… Quand t’es rendue là, c’est sûr que tu tombes dans le country. Je suis devenue une grosse, grosse fan. C’est là que j’ai rencontré Dan et Alice (Tougas St-Jak, accordéon et chant) qui jouaient dans le parc.

T’attendais-tu alors à chanter dans un groupe avec eux?
Daphné: Jamais! Je n’ai jamais eu une belle voix, je n’avais jamais chanté ni désiré chanter. Quand j’ai commencé à écouter du country, y’avait comme la montée de United Steel Workers of Montreal, puis de Lake of Stew… Je commençais à m’intéresser à la scène montréalaise. C’est vraiment dur d’expliquer ce qui s’est passé… Je chantais des tounes de Hank Williams et de Wanda Jackson dans des karaokés, des fois. Y’a du monde qui t’encourage là-dedans, mais tu ne penses jamais à ça jusqu’à ce que tu tombes sur un banjoïste pis une accordéoniste qui jouent des covers que tu connais dans un parc. Un jour, j’en ai parlé à Alice. J’étais comme: «heille, on pourrait vraiment se partir un band de covers». Elle a dit: «ah non, j’ai mon projet, je suis trop occupée, je vais à l’école…» Mais à un moment donné, on est allées voir un show de Caloon Saloon à l’Esco. C’est là qu’elle m’a annoncé: «je lâche l’école, c’est vraiment pas fait pour moi». Je pense qu’elle avait déjà prévu de jouer de la musique avec moi, Dan, Annie (Carpentier, planche à laver) et Érik. Elle s’est lancée dans le vide. C’est quand même fou.

La belle vague folk qui sévit en ce moment, c’est chouette, mais comment on fait pour que ça ne devienne pas les Frères à ch’val II? Les vagues, ça dégénère toujours.
Érik: Je pense que pour nous, ça durera tant qu’on n’écrira pas des tounes juste pour les écrire et qu’il n’y aura pas de pression pour la composition… Tant que ça nous ressemble, ça va. Si je compare ce qu’on faisait à l’époque de notre EP à ce qu’on fait maintenant, ça se tient. Je n’ai pas l’impression qu’on se caricature. On continue dans la même veine en souhaitant ne pas devenir plates.

Daphné: En show, on a tendance à être très «people». On va voir le monde, on leur parle pis on fait le party avec eux. C’est très vrai. Je sais pas si… Ça se peut que ça s’éteigne, dans le fond.

Érik: On n’est pas pressés.

Daphné: On a déjà des squelettes en vue du prochain album. On voit déjà que les nouvelles compositions, c’est un autre son. C’est pas la même vibe. C’est ce que je trouve cool. Le son que tu travailles te mène à autre chose. Mais en même temps, on va toujours essayer de ne pas être trop systématique, de trop rentrer dans les cadres. On va toujours essayer de déborder, plutôt que de suivre exactement la ligne de conduite.

Érik: Je crois que ce qu’on apporte va être assez pour nous faire avancer.

Daphné : On a fait des efforts pour devenir plus droits, plus pros, mais on va toujours rester gabounes. Il va toujours y avoir du gaboune dans c’te band-là. Tu peux pas nous maquiller. Je ne pense pas qu’on puisse vraiment entrer dans un cadre ordinaire. Mais je ne peux pas prédire ce qui arrivera avec la vague folk. Tout ce qui compte, c’est que ça parle au monde.

Érik: Je pense que l’été va quand même avoir une ‘tite saveur de même.

Canailles
19 avril | Sala Rossa
4848, St. Laurent
canailles.bandcamp.com

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