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Les vidéoclips en péril? Cash, pas cash, on crée ici de petits bijoux.

«Le clip de M.I.A., Bad Girls», m’indique le message texte d’un ami pendant que je reviens chez moi en autobus. La hype est là. J’ai hâte de voir. Cellulaire archaïque oblige, j’attends jusqu’à la maison pour visionner la chose. La Britannique d’origine sri lankaise qui fait des «fuck you» et le réalisateur kamikaze Romain Gavras sont réunis à nouveau. Le printemps arabe de M.I.A. n’est sorti que depuis quelques heures et déjà il affiche des dizaines de milliers de visionnements YouTube. Je n’étais visiblement pas la seule à avoir hâte. Flashback de moi il y a 15 ans, assise en pyjama dans le salon familial: je suis estomaquée et fébrile devant le clip de maison hantée des Backstreet Boys, «Everybody (Backstreet’s Back)». Rien n’a changé. Mythe, provocation, innovation, beauté, voyeurisme: le clip continue de fasciner et d’exciter, sur la vieille télé au revêtement de faux bois comme sur le téléphone intelligent.

POUR LE LOVE
Pourtant, les maisons de disques consacrent de moins en moins de budget aux clips. En 2009, malgré une pluie de prix et d’éloges, et la production de 900 vidéoclips, autant pour Céline Dion que pour Malajube, la boîte de production montréalaise NùFilms fermait ses portes. Cette dernière venait tout juste de recevoir une nomination aux Grammys pour le clip de la chanson «Mr. Hurricane», de Beast. «Le vidéoclip était sur le respirateur artificiel», explique Paul Barbeau, fondateur de NùFilms maintenant à la barre de Reprise Films, une compagnie de production de longs métrages. «En un an, notre chiffre d’affaires a chuté de 80%! Impossible de se remettre d’une telle chose économiquement». M. Barbeau attribue cette dégringolade aux logiciels illégaux de téléchargement de musique, qui ont grandement affecté les revenus des maisons de disques et du même coup, ceux des boîtes de production faisant affaire avec elles.

«Il n’y a aucune boîte de production à Montréal qui ne fait que dans le clip. Pas le choix de diversifier et de faire autre chose pour payer son loyer», explique Olivier Picard, un des quatre membres fondateurs de la boîte Parce Que Films, établie à Montréal depuis sept ans. «Produire des clips, c’est un investissement qualitatif: faire des projets, montrer aux gens qu’on existe, montrer ce que l’on sait faire avec une caméra, et montrer à des institutions comme la SODEC ou le Conseil des arts que l’on sait tenir des budgets et faire de belles choses avec. À partir de là, on réussit à obtenir des subventions pour faire du court métrage ou du long métrage.» M. Picard affirme aussi que sa compagnie n’a pas évolué avec un modèle d’affaires où les budgets pour un clip allaient jusqu’à 60 000$, comme cela se produisait autrefois. Malgré les contraintes financières, Parce Que Films a tout de même réussi à rafler le Félix de la meilleure maison de production de clips et celui du meilleur clip de 2011 pour «On va s’aimer encore» de Vincent Vallières.

En plus de l’aide gouvernementale, les clips peuvent aussi être subventionnés par MuchFACT (Canada) et MaxFACT (Québec), deux programmes financés respectivement par MuchMusic et MusiquePlus/Musimax, permettant chaque année à de nombreux clips de voir le jour. MuchFACT offre des subventions maximales de 25 000$, tandis que MaxFACT s’arrête à 15 000$. 

«Il y a dix ans, les budgets étaient beaucoup plus gros», explique Sach Baylin-Stern, qui a démarré sa propre compagnie, Antler Films, après avoir produit pour NùFilms. «Mais avec de plus petits budgets, les gens prennent plus de risques créatifs et il en ressort du contenu particulièrement intéressant.»

ÂGE D’OR POST-MTV
Des budgets bien serrés, donc, mais de nouveaux moyens de faire du beau pour moins cher, et de le partager avec le monde entier. La caméra reflex Canon 5D Mark II a définitivement changé les règles du jeu depuis son arrivée en 2008, offrant au public la possibilité d’enregistrer du vidéo haute définition de ratio 16:9 comme au cinéma, permettant à toutes sortes de productions indie de voir le jour en HD. L’iPhone 4 peut tourner du vidéo HD. Avec un savoir-faire vraiment minimal, presque n’importe qui peut faire un clip. Et puis, l’Internet, l’Internet, l’Internet. (Insérer ici une remarque profonde et exhaustive sur le chaos et les possibilités infinies de ces chers Interwebs).

«En 2012, le vidéoclip, on le partage, on le commente, on le poste sur Facebook et Tumblr, on le tweete, on le critique sur son blogue et on le remixe… Le clip vit probablement un deuxième âge d’ôr», affirme Laurence Morais, réalisateur et homme à tout faire mieux connu sous le nom de Baz. Ce dernier est responsable (entre autres) de l’émoustillant clip «Teflon Dons» d’Alaclair Ensemble et du coriace «Mange un char» de Maybe Watson, des créations provocatrices qui ont probablement bénéficié de la nature free for all du Web. «L’arrivée de la vidéo sur Internet a complètement changé la game. Il est possible de faire des clips pornos/de meurtre/de viol qui n’auraient jamais passé à la télé. Et maintenant, pour se démarquer, il ne suffit plus de faire un bon clip. Il faut qu’il fasse jaser.»

Sach Baylin-Stern, dont la boîte a produit le surréaliste vidéo pour «Comme un enfant» de Yelle et «Texico Bitches» de Broken Social Scene, pense que la reconnaissance d’un clip se fait en deux étapes: créer un produit esthétiquement réussi, intéressant ou différent, et se débrouiller pour qu’il se retrouve sur les bons sites web et blogues afin qu’il se propage. Il soulève cependant un bon point: «Le nombre de visionnements en ligne se traduit-il en ventes d’albums?» 

Olivier Picard rétorque que, comme elle a dû s’adapter au téléchargement illégal, l’industrie de la musique devra dénicher un modèle économique viable pour le vidéoclip sur Internet. «Je pense que d’ici dix ans, les compagnies vont avoir trouvé un moyen de rentabiliser les clips sur YouTube et la musique en général.»

Vincent Morisset est un de ceux pour qui le web est plus qu’un outil promotionnel : il est partie intégrante du processus créatif. Le clip qu’il a réalisé pour la chanson «Neon Bible» d’Arcade Fire permet au spectateur de gosser avec les mains et le visage de Win Butler pendant qu’il chante, une option impensable pour des médias comme YouTube ou Vimeo. Pour le morceau «Sprawl II» du même groupe, Morisset a créé un clip pour lequel l’audience détermine le langage corporel des personnages à l’écran par ses propres mouvements de danse. Les clips deviennent ici une véritable expérience servie par le web, renforçant davantage le mythe et l’image d’un groupe que le nombre de clics associé à ses vidéos. Pour Vincent Morisset, «l’Internet est à la fois un laboratoire et un carré de sable! Le Web est un endroit où l’artiste peut avoir une véritable relation continue avec son public. On dit souvent qu’Internet a fait mal à l’industrie de la musique. À mon avis, il lui a aussi fait grand bien. Je crois qu’on est dans une période charnière.»

VILLE DE MÉLOMANES
Les producteurs locaux ne tarissent pas d’éloges quand vient le temps de parler de Montréal comme ville de création. Sach Baylin- Stern est catégorique: «Nous avons du talent de calibre international, d’excellents techniciens, de beaux endroits pour filmer, et l’accès à tout l’équipement et les services désirés.» Comme quoi cette bonne vieille conviction selon laquelle Montréal est une ville de création sans pareil est aussi vraie pour l’univers des vidéoclips. Baylin-Stern renchérit: «Au Québec, on remarque une augmentation de la qualité générale des productions. J’attribue cela à une nouvelle génération d’artistes talentueux ayant émergé en même temps qu’un nouvel arsenal de matériel cinématographique abordable et de haute qualité.»

Pour Baz, les musiciens québécois ont du talent et sont prêts à se prêter au jeu des réalisateurs, même si les projets se voient souvent confinés au marché québécois et ont moins de visibilité au niveau international. «Le clip est un terrain intéressant pour essayer des choses folles, avoir un peu de budget pour le faire et avoir un public pour l’écouter.» Malgré tout, les boîtes de production et artistes d’ici continuent de pondre des bijoux de créativité, et les gens continuent de rêver devant ces petites gâteries  audiovisuelles. Tant qu’il y aura des petites filles en pyjama qui bavent de plaisir devant un clip, il y aura des mélomanes qui en tournent pour du change de fond de poche.

 

antler.tv | hellomynameisbaz.com
parcequefilms.com | reprisefilms.com
vincentmorisset.com