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De Nelly Arcan à Steve Jobs: 10 événements qui ont marqué le monde littéraire en 2011

Loin, très loin de nous l'idée d'avoir lu tout ce qu'il y avait à lire en 2011. Voici néanmoins un petit survol de dix événements littéraires qui ont marqué l'année.

1. Freedom, Jonathan Franzen, éd. du Boréal
Freedom est paru cette année en français sous le titre anglais de Freedom. Si la critique a été divisée sur ce roman de l’auteur des Corrections, avouez qu’il vous a été difficile de lâcher les histoires de Patty, femme au foyer férocement compétitive et rongée de l’intérieur, d’Eliza, sa meilleure amie momentanée, mythomane et complètement givrée, du trop-gentil-pour-être-vrai Walter et de Richard le rockeur qui se tape fille sur fille sans trop réfléchir.

Franzen dépeint ici les travers que l’être humain cache sous ses apparences proprettes, et dresse un sombre constat de la famille qui part en couille, du mariage qui fouerre sévère, des enfants qui font tout pour faire chier leurs parents, qui étaient pourtant convaincus, mais alors là convaincus, de ne jamais répéter les mêmes erreurs que leurs parents à eux avaient commises à leur égard. Vraiment bien.

2. Burqa de chair, Nelly Arcan, éd. du Seuil
Pendant une semaine, le tourbillon médiatique s’est emballé. Dans Burqa de chair, recueil de nouvelles posthume de la regrettée Nelly Arcan, l’auteure à la plume corrosive et magnifique, qui ne manquait jamais de jeter à terre par sa précision chirurgicale, relatait, dans la nouvelle La honte, son passage sur le plateau d'une émission télé. Il n’a pas fallu longtemps pour que des liens se fassent et que Guy A. Lepage, qui s'est senti visé par cette fiction, réagisse à ce qu’il a décrit, en entrevue à Radio-Canada, comme une «démonisation» de sa personne. Il y a eu des débats et des manifestations de soutien à Guy A. L'animateur a même remis l'entrevue en ligne, en souhaitant prouver que personne n'avait rien fait de mal alors que, franchement, demander à Nelly (qu’on a tout de même fait entrer sur le plateau au son de Quand on se donne (à une femme d’expérience)!) de «tirer Martin Matte au poignet»… ouf. Dommage pour ces débordements.


Nelly Arcan à Tout le monde en parle en… by mrnorth

3. Limonov, Emmanuel Carrère, éd. P.O.L.
Il y a eu une semaine, au mois de novembre, en période de Salon du Livre, où il était difficile de passer une journée sans entendre le nom «Limonov». De passage à Montréal, Emmanuel Carrère (L’adversaire, D’autres vies que la mienne) est venu présenter son dernier récit et nous parler, avec beaucoup de passion, de cet homme pétri de contradictions dont il a raconté l'histoire dans son roman éponyme. Inspiré par les écrits de l'écrivain russe et des entretiens que ce dernier a accordés à Carrère, Limonov-le-livre nous présente Limonov-le-poète, Limonov-le-soldat-qui-a-combattu-aux-côtés-des-Serbes ainsi que Limonov-le-militant-qui-a-fondé-le-Parti-national-bolchévique-et-qui-s’ennuie-de-l’URSS. Une vie plus palpitante qu'un roman, quoi.

4. Steve Jobs, Walter Isaacson, éd. JC Lattès
Le décès de Steve Jobs a assurément marqué 2011. Sa biographie, rédigée à sa demande par le renommé Walter Isaacson, dresse un portrait honnête de l’homme, entièrement dénué de complaisance. «Écris ce que tu veux, je ne le lirai pas», lui aurait dit Jobs. Une bio passionnante d'un homme qui l'était tout autant.

5. L'art de vivre selon Joe Beef, de Frédéric Morin, David McMillan et Meredith Erickson, éd. Parfum d'encre
Les chefs ont encore une fois été à l’honneur cette année, avec une variété infinie de bouquins, d’émissions de radio et de programmes de télé consacrés à l'art de cuisiner et de manger. Parmi ces cuisinestars d'aujourd'hui, on a beaucoup parlé de Frédéric Morin et de David McMillan, les bons-vivants co-propriétaires et chefs de chez Joe BeefThe Art of Living According to Joe Beef, livre où l'on apprend justement comment vivre à leur façon, c'est-à-dire très, très bien, a récolté les hommages des critiques.

Une ode à la bouffe et à la métropole qui nous rend fiers d'être Montréalais. Au diable les bonnes résolutions du Nouvel An. J'ai faim.

6. L’homme blanc, Perrine Leblanc, éd. Le Quartanier
Le traditionnel Combat des livres animé par Christiane Charette à Radio-Canada, fut particulièrement féroce cette année, avec Me Goldwater et Djemila Benhabib, liguées contre Patrick Lagacé. L’homme blanc de Perrine Leblanc, paru en 2010 et défendu par Geneviève Guérard, est sorti grand gagnant de cette lutte acharnée. Ce fut bien sûr loin d’être le seul et le plus important honneur récolté par Perrine Leblanc en 2011. Entré en France dans la très renommée collection Blanche de Gallimard, ce livre a également valu à son auteure le Prix littéraire du Gouverneur général, catégorie romans et nouvelles. Une belle épopée que celle-là!

7- Paul au parc, Michel Rabagliati, éd. La Pastèque
Quel petit bijou que ce Paul au parc! Alors que le FLQ sévit, («C’est qui les effets de cul?», demande le héros à son père), Paul joint les louveteaux malgré les moqueries de sa sœur. Outre les super copains qu’il y rencontre, il y a Daniel, aspirant animateur et conteur hors pair qui deviendra son bon ami. Lors du mémorable camp de l’été 1970, Paul apprendra la valeur de l’argent, la différence entre le capitalisme et le communisme et passera sa première nuit seul, à la belle étoile. Il vivra aussi son kick avec la belle Hélène, et sur la nouvelle «tévé» en couleur, il assistera avec sa famille à la lecture, faite par l’animateur Gaétan Montreuil, du manifeste du «zèfèlcu». Une fois de plus, Michel Rabagliati a ravi ses fans.

8- Les imperfectionnistes, Tom Rachman, éd. Grasset
Si la forme du roman choral pouvait faire craindre le pire, Les imperfectionnistes s’est avéré à la hauteur du buzz qui l’a entouré. Hyper bien ficelé, drôle, touchant, ce récit de Tom Rachman, ancien correspondant pour Associated Press, met en scène des employés tous plus losers les uns que les autres d’un journal assez pourri basé à Rome. À travers les déboires de la vie ordinaire de cette réviseure névrosée, de cet envoyé spécial débutant, de cette lectrice psychotique, l’auteur dresse un portrait d’une industrie en crise sévère (la nôtre, médiatique) et des bizarroïdes relations que les humains entretiennent, avec plus ou moins de succès, entre eux. NB: Brad Pitt serait en train de préparer une adaptation cinématographique. À suivre.

9- Les personnages de Tintin dans l’histoire, Historia/Le Point, éd. La Presse
Cette fin d’année a été marquée par un autre passage de Tintin au ciné, assuré par le maître de l’aventure, Steven Spielberg. Il paraît que c’est réussi. Pour ma part, mon amour des albums originaux de Hergé et tous les souvenirs qui y sont associés, ainsi que ma réserve par rapport au (maudit) 3D, ont freiné mon élan et mon désir de courir en salle. Sur les conseils d’un copain tintinophile, je me suis plutôt plongée dans ce hors-série, drôlement bien fait, qui s’intéresse aux événements ayant inspiré l'univers du célébrissime reporter, tout en décortiquant les personnages et en nous replaçant dans le contexte de l’époque. Mille milliards de mille sabords, c'est bon.

10- Stieg et moi, Eva Gabrielsson et Marie-Françoise Colombani, éd. Actes Sud
Parlant de film, une autre adaptation qui marquera assurément l’année 2011, c’est bien sûr Millenium, les hommes qui n’aimaient pas les femmes, revisité par David Fincher (en salle le 21 décembre). Si, comme plusieurs, je compte les jours avant sa sortie, un malaise subsiste tout de même. Malaise qui n’a cessé de grandir et de me tarauder depuis la lecture de Stieg et moi, confessions de celle qui fut la conjointe du regretté Stieg Larsson pendant plus de 30 ans (!) et qui, après la mort de l’amour de sa vie, s’est retrouvée sans aucune redevance sur son œuvre et surtout, sans aucun droit de regard sur celle-ci.

Dans ce récit touchant, Eva Gabrielsson relate les enfances respectives et difficiles de Stieg et elle-même, décrit leur rencontre alors qu’ils n'étaient encore que de jeunes étudiants-manifestants et raconte leur amour marqué par les discussions jusqu’à pas d’heure autour de leur drogue de prédilection: le café (que les personnages de Millenium boivent d’ailleurs en quantité industrielle). Elle y souligne aussi que Stieg, homme droit et assoiffé de justice, aurait été rebuté par tout ce cirque entourant ses bouquins. Quand on pense que le 14 décembre, H&M lancera sa «collection Lisbeth Salander»… Ich.

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