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Évoquer le sexe: John Currin utilise la pornographie comme matière artistique

Dès ses premières expositions dans les années 90, le peintre américain John Currin se sert de la provocation comme machine à faire du bruit, une technique qui a prouvé à plus d’une reprise son effet redoutable. Des femmes aux seins comme des ballons de basketball, des mises en scène surréalistes et perverses de la haute bourgeoisie américaine, et tout dernièrement, la relecture d’images pornographiques danoises des années 70: John Currin s’est attiré son lot de propos haineux, mais a également nourri une réputation mondiale enviable; on évalue ses toiles à un montant de six chiffres. Pourtant, l’homme rejoint à son studio de travail à New York se défend bien aujourd’hui d’être à la recherche du sensationnel, de ces sentiments faciles et futiles.

 


 

«À mes débuts, je cherchais à faire du bruit, à être connu. Mais plus je vieillis, plus je m’éloigne de cette dynamique. Évidemment, j’ai tenté de fuir ces images pornographiques. C’est un cliché en art contemporain d’utiliser la porno pour critiquer et dénoncer la société capitaliste. Personnellement, cela m’a aussi énormément dérangé, embarrassé. J’aimerais peindre un autre genre de peinture, vraiment… Je dois cacher mes toiles à mes enfants lorsqu’ils visitent mon studio. Je fais même des cauchemars la nuit à ce sujet. Je dois m’excuser devant mes parents lors des vernissages. À quelque part, au fond de moi, il y a sûrement dans ses peintures une nostalgie enfouie d’une époque où j’étais sans enfant, une époque magnifiée avec le temps, car, avouons-le, elle n’était pas aussi palpitante que l’on laisse croire…»

 

 

 

Fragile carapace
Malgré le caractère cru de ces images qui invitent au plaisir rapide, Currin réussit, grâce à sa technique picturale traditionnelle, à rehausser ces propositions subversives. Entre la beauté et le grotesque, ces peintures présentent la nudité avec opulence et flamboyance, tel qu’en était la norme à l’époque du classicisme pictural du peintre français Nicolas Poussin – une véritable inspiration pour Currin. «Je suis toujours conscient de mon américanité. Cela a motivé mon goût pour les images pornographiques danoises des années 70, car elles proposent une autre esthétique. Il y a là une satire du libertinage européen de l’après-guerre. À plusieurs niveaux, j’ai satisfait ici mon envie marquée, ma jalousie constante pour cet immense héritage européen en peinture. Je me suis pris pour Poussin, j’ai tenté de créer des oeuvres fantaisistes qui invitent au bonheur et à la beauté.»

 


 

Currin le quadragénaire s’assagit-il vraiment? Même si le principal intéressé semble le souhaiter, la réalité que dépeignent ses oeuvres présentées à la Fondation DHC/ART semble être tout autre. «Oui, ma carapace se ramollit, je suis plus sensible à la critique. Mais pour moi, la provocation est un espace de travail trop facile, trop confortable. Je ne pense plus en termes de controverse. Ce que je constate toutefois, c’est que plus nous sommes forts et indifférents face au regard de l’autre, meilleur créateur nous sommes. Les grands artistes ont su laisser tomber cette envie d’être aimé à tout prix.»

 

 

 

John Currin et Berlinde de Bruyckere
du 30 juin au 13 novembre | DHC/ART | 451, St-Jean
 
 
 
 
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