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Arcade Fire: poésie du purgatoire

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Arcade Fire: poésie du purgatoire

Ah, la banlieue… Les dimanches passés à regarder le voisin laver son char, à tondre la pelouse de papa; les soirées au parc, à la marina ou dans l’entrée du dépanneur; ces après-midi enterrés à la bibliothèque municipale ou dans un autobus… Rien pour faire regretter le rythme trépidant de la ville, et pourtant, pour plusieurs d’entre nous, ce sont les racines. Racines communes à Régine Chassagne, élevée à Saint-Lambert, dans le 450, et à son mari Win Butler, originaire des Woodlands, au Texas. Ce sont elles qui ont servi d’inspiration aux chansons de The Suburbs, troisième album de la populaire formation montréalaise, paru en août. Loin d’être aussi plate que la 132, l’album traduit au contraire de façon touchante, avec un mélange de nostalgie et de sagesse détachée, les sentiments d’incertitude, de solitude et d’impatience qu’on a tous ressentis dans ces grosses salles d’attente de la vie que sont les agglomérations périphériques.

Joint au téléphone alors qu’il déambulait dans Montréal, le multi-instrumentiste Richard Reed Parry donne un rare aperçu du making of du nouvel opus.

Toi qu’on apercevait souvent dans les concerts à Montréal, avant, tu te fais rare, maintenant…
En effet, je n’ai pas été voir de concert ici depuis un moment. Je suis trop occupé!

Qu’est-il arrivé après la fin des tournées de Neon Bible? Avez-vous pris une pause? Vous voyiez-vous quand même?
On se voit même quand on ne travaille pas, puisque nous sommes amis. Mais oui, on a pris un petit break les uns des autres. C’était assez nouveau, pour nous. Nous n’avions jamais vraiment arrêté depuis Funeral. Ça représente beaucoup d’années de travail, ça! On s’est dit: «Si on n’arrête pas un peu, quelque chose de plate risque d’arriver!» Quoiqu’apparemment, je suis un peu workaholic. Je me suis occupé avec plein d’autres projets. On a sorti un album de Bell Orchestre, on a tourné ça un petit peu, j’ai composé une pièce pour un quatuor à cordes et, au même moment où nous attaquions le nouveau Arcade Fire, j’ai réalisé l’album de cette artiste montréalaise nommée Little Scream, qui n’est pas encore sorti. J’ai donc eu les mains pleines presque tout le temps, mais ça a fait du bien de changer de paysage.

Avec le recul, comment regardez-vous tout l’épisode Neon Bible? Y a-t-il des choses que vous avez apprises, des choses que vous vouliez répéter ou éviter?
Un peu de tout ça, je suppose. Tu apprends inévitablement en cours de route. Pour nous, ça concernait surtout le côté physique des choses. Comment tu veux et ne veux pas tourner; combien de shows tu peux faire en combien de temps, comment rythmer son travail et garder l’impression que tu es un être humain, même si tu mènes une vie très étrange. Comme dans n’importe quel autre domaine, tu découvres ce dont tu as besoin pour bien faire ta job. Parce qu’à un moment donné, ça devient ta job, même si au fond, ça veut dire plus que ça. Tu dois faire cette drôle de transition vers le point où tu as une relation de travail avec ta musique, et non juste une relation artistique.

L’album semble être porté par une vision très personnelle de Win et de Régine sur leur jeunesse en banlieue. Comment vous ont-ils présenté ça?
Eh bien, ce n’est pas comme s’ils disparaissaient et refaisaient ensuite surface avec une collection de morceaux. On travaille beaucoup ensemble. C’est en cours de route qu’on a remarqué que certains thèmes lyriques se dégageaient. C’est devenu The Suburbs quand on a terminé la chanson-titre. À l’origine, c’était une chanson beaucoup plus longue, avec une structure un peu floue. La première version faisait 15 minutes et ressemblait un peu à «Tonight’s the Night» de Neil Young, avec beaucoup trop de parties et de paroles. La version finale est une sorte de condensé. L’album au complet a pris forme de façon semblable. On a d’abord pensé faire quelque chose de très long, peut-être même un album double. Mais les plans ont changé en chemin.

As-tu grandi en banlieue toi aussi?
Partiellement. Je ne suis pas un vrai produit de la banlieue, mais quand j’allais à l’école secondaire, j’habitais dans une banlieue d’Ottawa. Cela dit, c’est un thème auquel je crois que chacun peut s’identifier, qu’on ait grandi là ou qu’on y soit juste allé faire le party ou visiter ses amis… Tout le monde a une relation avec la banlieue.

Oui, finalement, ça parle d’où on vient, des origines…
C’est ça. La banlieue est un point d’accès, une façon de parler de choses plus profondes et universelles.

La chanson «Modern Man» a un son intime et coussiné, presque comme un sous-sol de bungalow avec du tapis partout. C’est volontaire?
(rires) Dans un certain sens, oui. Sur le plan technique, cette chanson en particulier en était une qu’on aurait pu choisir de «gonfler», de faire sonner très «gros», mais qu’on a plutôt choisi de rapetisser et de resserrer. On s’est rendu compte qu’en ôtant des éléments, elle avait plus d’effet. Donc, sur le plan technique, oui, c’était intentionnel. Mais de là à vouloir la faire sonner comme un sous-sol de bungalow… Je n’irais pas jusqu’à dire ça! (rires) Il s’agissait de suivre le feeling de chaque chanson, de sentir de quoi chacune avait besoin à ce moment précis. Selon moi, cette chanson avait besoin de sonner «petit». C’est une des chansons qu’on a eu le plus de facilité à rendre, sur le disque. On l’a terminée en une journée, avec quelques minuscules ajouts par après. Pour nous, c’est très rare.

Est-ce moi ou tout l’album a été sujet à une sorte d’hésitation entre le «gros» et le «petit»? Une moitié est grosse est expansive, comme Neon Bible, l’autre est plus intime…
Oui, on a consciemment essayé de faire plus dépouillé lorsque les chansons le demandaient. C’est un territoire intéressant qu’on n’avait jamais vraiment tenté d’explorer auparavant. Mais on y a vraiment été une chanson à la fois. On n’a pas décidé d’emblée que «Modern Man» allait avoir ce son intime. C’est en jouant qu’on entend ces choses.

L’idée des huit pochettes différentes, qu’on ne peut choisir que si on achète l’album en magasin, c’était pour ramener les gens chez les disquaires?
Je ne dirais pas que c’était LE but. C’était surtout une décision artistique cool qui complétait bien le reste des idées du disque. Mais oui, ça a joué un peu. C’est tellement un drôle de moment pour la musique à cause de la façon dont les gens se la procurent… Ça a affecté la conception de l’album à plusieurs niveaux.

Régine a annoncé la fondation de KANPE («debout» en créole), un organisme pour venir en aide à Haïti, durant le Festival d’été de Québec. C’était volontaire de faire ça plusieurs mois après que l’attention médiatique sur Haïti se soit estompée?
Oui. C’est un sujet qui nous tient à cœur, on est impliqué avec les Haïtiens depuis longtemps et on voulait continuer de les aider même avant le tremblement de terre. Lors de notre dernière tournée, on donnait un dollar par billet vendu à Partners in Health. On prévoyait le faire, encore, puisque c’est facile à faire, pour nous, et que ça fait une énorme différence. Puis, Régine a voulu créer quelque chose au Québec pour que les gens aient l’impression d’aider de façon plus directe. Parce que, souvent, on ne sait pas où va l’argent qu’on donne. Et oui, le lancement de KANPE était planifié pour que ça arrive au moment où les gens avaient commencé à oublier que là-bas, c’est encore une zone sinistrée. Il y a tellement de gens qui vivent dans des tentes, sans aide ni nourriture. C’est facile d’oublier à propos de ces trucs quand ils ne font plus la une des journaux, mais c’est encore aussi pire que c’était.

Arcade Fire
31 juillet | Parc Jean-Drapeau
Île Ste-Hélène
dans le cadre du festival Osheaga
www.arcadefire.com
www.osheaga.com

 

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