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Haute résolution : le slow media peut-il sauver ma curiosité?

Mardi soir. Je suis au bureau, devant une pile de travail. Des affaires un peu plates: de la planification, des factures, des courriels à envoyer. Rien de difficile, mais rien de trop agréable quand même. Et pour rendre la tâche encore plus ardue, j’ai la concentration dune mouette et je scanne mes fils Facebook et Twitter à la recherche d’une distraction. Un lien, une vidéo, une interaction quelconque.

Et là ça me frappe en pleine face: perdre son temps à consommer des contenus inutiles en ligne, c’est l’équivalent actuel du zapping. Le regard hagard, quasi zombie, je surfe et surfe et surfe et partage les liens, soit sur Facebook, soit sur Twitter. Une chanson, un vidéo, une galerie web: je scanne, sans rien regarder au complet, sans vraiment me faire une opinion valable sur un quelconque sujet. Pareil comme les téléspectateurs que je regarde de haut, les couch potatoes qui perdent un temps incroyable la télé allumée.

J’avais déjà discuté de ce problème avec Pierre-Alexandre, chef de pupitre au magazine. «Thomas, tu sais, les twitteux intenses et les gens qui connaissent bien le web 2.0 c’est une communauté très limitée.» Peut-être. Mais cette abondance d’interactions nous touche tous, ou presque. Messages textes, sites de rencontre, microblogging: on dirait maintenant qu’on n’existe vraiment que quand on communique, et il faut désormais gérer notre personnalité internet. Pierre-Alexandre, lui, ne twitte pas, mais il a plus de 4000 amis sur Facebook. Chacun sa réalité.

Rendu là, la question que je me pose, c’est comment j’en suis arrivé à être aussi actif en ligne. J’ai longtemps refusé de suivre les modes technologiques: je n’ai jamais eu de compte MSN, Hotmail ou ICQ, je suis arrivé sur le tard sur Facebook (en 2008), j’ai longtemps vécu sans cellulaire avec comme seule ligne un téléphone filaire résidentiel.

Et là, en l’espace dun an, je suis devenu le type qui étale sa vie sur le web, qui change sa photo de profil chaque semaine, qui partage des liens plus vite que son ombre et qui se surprend à mettre à jour son Twitter une cinquantaine de fois par soir lors des grandes occasions (genre durant la cérémonie douverture des JO ou durant les Grammy, c’était pas beau à voir). Suis-je devenu dépendant du microblogging et des changements de statut? Je n’ai jamais eu autant d’amis (1300 sur Facebook, pour être exact), mais à me voir aller, on pourrait croire que je n’ai jamais été aussi seul. La phrase nest pas de moi: je l’ai lue sur Twitter.

DE MÉDIAS SOCIAUX À SLOW MEDIA

Oui, je suis accro. Mais rendu là, je fais quoi? Je m’achète un t-shirt «Fuck Facebook»? Non. Trop quétaine, ce truc. J’efface mes comptes sur les réseaux sociaux? Surtout pas. Trop drastique et j’en pleurerais. Je fais un ménage dans mes amis et je vais jouer dans mes paramètres Facebook pour limiter le nombre de messages que je reçois? Bof… ce serait une perte de temps.

Il y a quelques semaines, j’ai vu passer un article sur un blogue qui présentait le mouvement Slow Media. J’ai beau être au bureau à 22h, je me lance et je commence à chercher de linfo sur le sujet. L’idée tellement simple que ça la rend presqu’anodine est un peu similaire au Slow Food, un mouvement qui soutient la consommation alimentaire «éco-gastronomique», mais surtout le droit au plaisir en mangeant. Le concept du Slow Food a fait du chemin depuis une vingtaine dannées en réaction à la montée du fast-food, évidemment et aujourdhui, le mouvement compte des centaines de milliers dadeptes.

Le Slow Media, donc. Je découvre un reportage de la radio américaine NPR sur le sujet. La journaliste y présente des individus qui ont choisi de limiter la technologie dans leur vie: rien de révolutionnaire quand on pense aux hippies, à nos grands-parents ou à nos grands-parents hippies.

Cette exclusion peut prendre différentes formes: ne plus dormir dans la même pièce que son téléphone portable, ne plus avoir d’ordinateur à la maison, écouter uniquement de la musique sur vinyle quand on est chez soi, lire des livres et des magazines bref, «démédiatiser» nos vies. La communauté Slow Media est encore petite même pas 200 fans sur Facebook mais l’idée me plaît assez pour que j’aie envie de continuer mes recherches.

Plus je me renseigne sur le Slow Media et surtout sur la force de caractère que cela requiert pour arrêter de partager systématiquement tout ce que je fais sur Twitter , plus je réalise que je n’ai plus de plaisir dans mon univers médiatique. Zéro. Surfer sur le web? Un réflexe. Regarder la télé? Une torture. Répondre à un courriel? Essoufflant. Écouter une chanson au complet? Impossible.

J’ai l’impression de ne plus avoir accès à toutes les ressources de mon cerveau et de ma curiosité, trop occupé à gérer l’abondance de messages, de mises à jour et de courriels plusieurs centaines que je reçois chaque jour.

Toutes ces interactions avec des individus s’ajoutent aux blogues, vidéos, émissions, newsletters et sites web que je scanne à la recherche d’une parcelle de sujet intéressant. Une curiosité excessive peut-elle nuire à ma santé mentale? Je crois bien que oui.

Qui dit curiosité dit découvertes. Et qui dit découvertes dit plaisir. Du plaisir à découvrir le travail d’un photographe, une bonne nouvelle en provenance de l’autre bout du monde, ou simplement des nouvelles d’une amie que je ne vois pas assez souvent. Du plaisir, j’en veux plus.

PLAISIRS MÉDIATIQUES

Peut-on vraiment avoir du plaisir à consommer des médias? Je crois que oui. Le magazine reste un des objets qui m’apportent le plus de réconfort dans la vie. Par exemple, un nouveau numéro de la revue Monocle déclenche toujours chez moi un élan d’enthousiasme, et l’arrivage de février présente même le Slow Media comme une tendance à suivre.

En même temps, Twitter et Facebook me permettent désormais d’être en contact avec des gens avec qui je naurais probablement jamais dinteractions. À ce sujet, la communauté des journalistes québécois est particulièrement active sur Twitter déformation professionnelle? et je crois bien être un gars mieux renseigné depuis que je follow certains dentre eux.

Les conversations et les mises à jour sur Twitter sont le plus souvent intéressantes. Il y a quelques jours, une organisatrice dévénements active depuis un an partageait avec ses centaines de followers comment elle aimait chaque jour découvrir les liens que les gens qu’elle follow avaient à partager.

Dans un vernissage, une connaissance qui travaille dans une agence de création ma avoué s’être fait reconnaître au restaurant par un autre twitteux. Le magazine américain Wired relayait même récemment les résultats d’une étude affirmant que ces petites interactions en ligne nous rendaient plus créatifs, ouverts à d’autres réalités.

Bien sûr, on peut se demander si tout ce réseautage est vraiment meaningful et si, surtout, il est vraiment productif pour notre vie sociale. Les détracteurs du 2.0 il en reste quelques-uns, quand même prôneraient probablement un retour à l’ère analogue si c’était possible.

D’ailleurs, une adepte américaine du Slow Media, professeure à l’université de surcroît, a décidé de consommer uniquement des médias qui existaient en 1985. Le câble oui, mais lenregistreur numérique à la Illico, non. L’album vinyle et le CD oui, mais pas le MP3. Exit le cellulaire, bonjour la ligne résidentielle. Tout ce qui est imprimé ou diffusé sur les ondes radio conventionnelles est accepté.

Tous des moyens de communication que nos parents connaissaient à notre âge. Serais-je capable, moi aussi, dessayer ça? Jen doute, pour linstant. Jai trop de plaisir à être de mon temps. Mais bon, la réflexion mérite davoir lieu.

MENU ÉQUILIBRÉ

Une leçon de ce mardi soir, cest que je dois mieux comme probablement beaucoup de gens qui lisent cet article considérer ma consommation médiatique. Iiiish, juste cette résolution me donne le goût de niaiser sur Chatroulette, mais bon.

Cest ici que le parallèle alimentaire prend tout son sens: on sait aujourdhui quil vaut mieux manger des aliments beaux, bons et en santé pour être en santé.

Cest très facile de transposer ce précepte dans sa consommation médiatique: vive linformation et le divertissement de qualité, les contenus bien faits et les interactions enrichissantes. Je veux de beaux blogues, de bonnes opinions, des créateurs de contenu en santé.

Avant Noël, jassistais au dévoilement dun nouveau téléphone portable conçu pour utiliser les médias sociaux, et un conférencier a lancé une phrase qui prend tout son sens aujourdhui: «Contrôlez vos écrans avant quils ne vous contrôlent.»

Avec la multiplication des surfaces daffichage de contenu (laptop, smartphone, télé, écran de cinéma, livre électronique, iPad), regagner le contrôle de sa consommation médiatique nest pas une mince affaire. Et là encore, on na quà imaginer tous les produits disponibles en épicerie, et à se rappeler quon peut encore choisir ce quon va manger pour souper.

 

ÉLOGE DE LA LENTEUR

Cinq trucs our mettre du Slow Media dans sa vie

1 Prendre seulement 30 minutes par jour pour la gestion de ses courriels personnels et de ses comptes sur les réseaux sociaux.

2 Éteindre son téléphone cellulaire avant de se coucher et le laisser à lextérieur de sa chambre.

3 Sinformer uniquement en lisant les journaux, en écoutant la radio et en regardant la télé.

4 Acheter ses disques et livres chez les disquaires ou les libraires indépendants et, pourquoi pas, redécouvrir le sentiment de tomber en amour avec un artiste ou un auteur.

5 Et bien sûr, découvrir le meilleure des sorties, de la musique et de la créativité dans la dernière édition de NIGHTLIFE Magazine: mais ça vous le faites déjà.

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