Aller au contenu
DJ Champion: acrobaties en zen majeur

Pour un gars qui a choisi son surnom presque au pif, Maxime Morin le porte aujourd’hui plutôt bien. On s’en souvient: après avoir porté pendant plus de dix ans celui de Mad Max, Morin ressurgissait en 2000 avec ce sobriquet borderline toton, histoire de bien souligner la rupture avec son passé strictement techno, de rompre avec l’anonymat du milieu des clubs puis de mousser cette espèce d’esprit surpositif qui allait avec son nouveau projet: la rencontre des univers rock et techno, des beats et des guitares, de la danse et du riff ainsi que des adeptes souvent bien différents de tous ces ingrédients.

Et comme on le sait, ça a diablement bien fonctionné. Chill ’em all, premier album sorti en 2005, s’est écoulé à plus de 70 000 exemplaires. Assez pour que suivent une version remix et un CD-DVD live (10 000 copies chacun), et pour que l’incarnation live du projet Champion et ses G-Strings, où Morin s’accompagne de quatre guitaristes, d’un bassiste et de chanteurs aille et vienne quatre années durant entre ici, les États-Unis, la France, l’Angleterre, la Chine, la Suède, l’Espagne et l’Allemagne.
Champion indeed.

Mais à la victoire économique et conceptuelle, il restait peut-être encore à en ajouter une purement artistique. Aussi captivante ait été sa proposition sur papier, aussi explosif son rendu live (en partie grâce à la présence de la tonitruante chanteuse Betty Bonifassi), Chill ’em all reste une exploration somme toute légère du mélange des langues rock et électro.

Sans-gêne
Morin ne cherche aucunement à le nier. «C’est sûr qu’il y avait une certaine gêne, sur Chill ’em all. À part «No Heaven», qui était un méchant step pour moi, les tounes suivaient pas mal toutes la mécanique techno. J’ai juste remplacé les sons électro par des mélodies de guitares», convient-il.

Resistance, deuxième album à paraître le 15 septembre, correspond mieux à ce qu’on espérait du concept Champion. En plus d’y déployer une palette stylistique élargie, l’artiste se montre plus sérieux et audacieux dans ses croisements génétiques. Enfin, les guitares ont du grain et les trames, une troisième dimension. Enfin, on sent de belles modulations d’intensité. Maintenant dépourvues de l’organe imposant de Betty Bonifassi (qui a quitté le navire en 2007 pour se concentrer sur Beast) et décorées, à la place, des contributions d’une variété de vocalistes masculins et féminins, les pièces ont de la chair, de la structure, et ne sont plus que longs crescendo. Bref, Champion a gagné sur le front qu’il lui manquait.

Chill fébrile
Morin me reçoit dans son deuxième salon, le Laïka, boulevard Saint-Laurent (il habite juste au-dessus). Bien que je l’aie souvent croisé au fil des ans, c’est ma première entrevue avec lui. Pour une raison x, je l’imaginais sérieux, un peu «artisss». Le fait de le voir frayer avec l’élite pop, sans doute. Au contraire, le nouveau quadragénaire (il entre dans le club ce mois-ci) est chill comme un vacancier sur le bord d’une piscine, et pas de trace d’ego à l’horizon.

Il est néanmoins fébrile. C’est sa première entrevue pour parler de Resistance. Il a besoin de «l’établir» une étape cruciale à toute phase de création: définir la chose, son sens et la relation qu’il a avec. L’utilisation du mot «sombre» dans la première ébauche du dossier de presse de Bonsound le rend inconfortable. Il hésite: «Y’a quand même un souffle de vie! Mon impression globale De un, c’est sûr que c’est moins world. Y’a des gens qui disaient que Chill ’em all avait ce côté très ouvert sur la musique, tandis que celui-là, il est beaucoup plus concentré! Il a une saveur particulière qui est plus présente. Finalement, je pense que c’est un album de party! Je voulais un album plus live et j’ai un album plus live!»

Objectif live
Cet objectif s’était imposé avant même la fin des tournées pour Chill ’em all, à l’hiver 2008. «Ça aurait été égoïste de ne pas le faire, remarque Maxime. La majorité des gens ont découvert l’album par le show, qui est plus rock et dans ta face. C’était normal de leur redonner un peu de ça sur disque. C’est donnant donnant. Tu fais un deal avec le monde. De partir complètement à droite ou à gauche, ça aurait été ne pas respecter ma part du deal.»

La solution n’était cependant pas non plus d’aller tout droit. En effet, de ses six premiers mois de travail, Maxime a conservé «fuck all» (sic). «C’était carrément la suite de Chill ’em all, relate-t-il. C’était encore des loops, des contrepoints de guitare Y’avait pas d’inconfort, je le sentais trop! C’était comme: «Non, j’ai pas envie, c’est pas pour ça que je fais ça.»

Le chantre du rasoir
Il avait envie de faire un mauvais coup. Maxime évoque le jour où il avait composé «No Heaven», pour Chill ’em all une chanson fournie, lyrique et développée, comparée aux autres de l’album et la grande insécurité qu’il avait ressentie par après, l’impression d’avoir fait quelque chose qu’il n’aurait pas dû. Cette fois encore, c’est sa six-cordes qui lui a donné la réponse. «Je me suis mis à travailler les sons de guitares les plus désagréables possible. Je fais ça, des fois Quand j’aime pas quelque chose, je rentre dedans! Je me suis imposé ces sons très carton, tsé, comme sur le premier Nine Inch Nails: hypersaturés, très rasoir Là, je me suis dit: «OK, t’es en position de déséquilibre, vas-y, le gros, fais-toi une toune que t’aimes!» Pis c’est là que j’ai développé la technique qu’on entend dans «Clear Beach», avec les notes jouées à volume baissé. Ça m’a fait: «Ah, c’est drôle, ça… Ça fait beau, y’a du silence, c’est pas un mur de guitares, pis ça chante» »

Après quelques mois à farfouiller dans les sonorités électroniques, il fait demi-tour et se lance au contraire dans les tons vintage «gras» inspirés de ZZ-Top, Metallica, Black Sabbath, Led Zeppelin et AC/DC, rendus possible par l’achat d’un nouvel ampli bien cracheux. Il se félicite d’être allé trop loin et d’être revenu. «Tant que tu sors pas le méchant, tu peux pas sortir de mélange harmonieux, philosophe-t-il. Tu peux juste sortir des mélanges calculés. Pis ça, c’est pas bon. Le mélange, il doit être ressenti. Il doit sortir d’un geste spontané.»

Des mots qui sonnent
Alors que, pour Chill ’em all, Morin avait été puiser dans le répertoire des worksongs d’esclaves pour assurer le contenu lyrique de sa musique, c’est bien sa plume qu’on retrouve sur Resistance, sur tous les titres sauf un («Sannois Bleach», une adaptation d’un blues de Leroy Carr). «J’ai fait des recherches pour trouver des tounes aussi fortes que «No Heaven», mais j’en ai pas trouvé, tranche l’artiste. Pis je pensais avoir des collaborateurs, j’ai dit au monde: «écrivez-moi des textes!» Évidemment, personne n’en a écrit… Faque là, je me suis ramassé à devoir écrire, moi qui m’étais désintéressé de ça pendant toutes mes années d’électro!»

«Je me suis dit: «ben, je vais en écrire, moi, des worksongs!» J’ai regardé la forme: c’était des oeuvres de gens ordinaires qui vivaient un quotidien extraordinaire et qui le décrivaient avec des mots super simples. Des gens illettrés, qui ne comprenaient l’anglais qu’à moitié… Je me suis dit: «ÇA, je suis capable de faire ça!»

Cassée, la voix
À propos du départ de la flamboyante ex-voix des G-Strings, six mois après la fin de la tournée Chill ’em all, Morin ne s’étendra pas trop. «Je pense qu’il doit y avoir une partie de gêne dans la vie privée des artistes. Pis y’a pas grand débat à y avoir: elle avait envie de faire ses trucs! C’est simple comme bonjour!» explique-t-il. «Sur le coup, je vais t’avouer que ça m’a déstabilisé en tabarnak! J’ai fait: «gulp! J’ai pas fini ma tournée! Qu’est-ce que je fais?» Mais ça s’est bien terminé. On a trouvé Marie-Christine (Depestre, qui a tenu le micro jusqu’à cet été), pis c’était le fun, tourner avec elle! C’est toujours bon du changement, hein? Ça m’a fait voir que, oui, Betty a un talent exceptionnel, mais y’a d’autres gens, aussi, qui ont des bonnes voix pis des super belles qualités.»

S’il aurait bien voulu que la remplaçante de Betty reste une G-String permanente, cette dernière a une carrière solo naissante qui requérait toute son attention. «Donc est venue l’idée de changer, raconte Maxime. L’idée de travailler avec un gars ne me déplaisait pas. Ça allait beaucoup avec mon plan d’y aller plus stage, plus rock.» C’est un ami commun qui lui propose Pierre-Philippe Côté, alias Pilou, une figure bien connue de la scène locale qui a notamment accompagné à la basse Navet Confit, Ariane Moffatt et d’autres, en plus de chanter dans le groupe Elektrik Bones. «C’est le genre de voix qui a du corps, pas trop haute ni trop basse. Un mid-range trippant, capable de donner de l’émotion», décrit Maxime.

En plus de Jeanbart d’Omnikrom sur «So Big», Champion a également fait appel à la chanteuse Bonnie Zehavie sur trois titres (une candidate au remplacement de Betty dont le registre était un peu trop haut pour l’emploi, mais dont l’organe l’avait néanmoins séduit) et il chante lui-même çà et là.

G-Strings sur la corde
Au moment de notre rencontre, la version live de Resistance n’avait pas encore été pensée, mais Maxime entrevoyait déjà quelques changements à sa manière de procéder. «On n’aura pas le choix d’ouvrir les tounes», disait-il, en raison de la nature plus structurée du nouveau matériel, versus la propension des G-Strings à «jammer» sur des structures ouvertes. «Trouver des shticks trippants, genre: «ah, ok, ce couplet-là, on le fait pas de bass.» Juste pour niaiser, de même.»

L’élaboration se fera avec une version remaniée des G-Strings, la bassiste Manon Chaput ayant été remplacée par Louis Girard, qui rejoint ainsi les guitaristes Sébastien Blais-Montpetit, Jean-Luc Huet, Barry Russel et Stéphane «Fetz» Leclerc.

Sur scène comme en studio, Maxime Morin cherche le danger. «Pour qu’un show de Champion soit bon, faut qu’on se pose la question: «c’est-tu bon ou c’est-tu pas bon?» Encore une fois, c’est de se mettre en déséquilibre, réitère-t-il. Il faut qu’on se pète la gueule au moins une fois ou deux au début pour que les gens aient une référence. Je suis allé voir un spectacle équestre, à Saint-Sauveur. Pis toutes les performances qui étaient réussies du premier coup, c’était comme «ouin, OK». Mais à un moment donné, le cavalier est assis, pis il passe à l’envers du cheval. Tu le vois essayer de remonter, il réussit presque, mais y’est rouge, y’a de la misère Il cherche l’étrier avec son pied, mais il le trouve pas! Il commence à shaker… Y’est sur le bord de pas réussir! Pis là, finalement, il parvient à se ramener, à revenir en haut! Tu vois qu’il est complètement exténué, qu’il est passé vraiment proche de manquer sa shot! Mais c’était le plus beau tour de tout le show! C’était… Câlisse, man! C’tait débile! C’tait fort! S’il avait réussi du premier coup, ça aurait été: «hein, whatever »»

«En musique, c’est comme ça. Faut que tu te mettes en réel déséquilibre pour presque réussir les affaires. Pour montrer que c’est pas facile! Pis quand tu manques de tomber pis que finalement, ça marche, le monde fait: «ah, ça a marché! Wow! C’est donc beau, la vie!» C’est dans le chaos et dans l’erreur que ça peut arriver, ça. Juste dans l’erreur. Sinon, c’est long pis c’est plate en tabarnak.»

 

Abonnez-vous à la newsletter de DJ Champion en visitant le www.djchampion.net http://www.djchampion.net pour courir la chance de gagner une paire de laissez-passer

 

15 septembre | Club Soda | 1225, St-Laurent
Ouverture limitée au public

djchampion.net

photographies

Richmond Lam
assisté de Coey Kerr

maquillage et coiffure
Sophie Parrot

Plus de contenu